https://www.lefigaro.fr/sciences/la-nasa-tente-un-atterrissage-a-haut-risque-sur-mars-20210217
DÉCRYPTAGE – La mission de la Nasa, dont le coût dépasse les 2,5 milliards de dollars, s’est posé jeudi soir après une succession de manœuvres automatiques sans aucune marge d’erreur.
Profitant de la fenêtre de tir qui s’ouvre tous les deux ans pour atteindre Mars à moindres frais, trois sondes avaient décollé l’été dernier à quelques semaines d’intervalles. Les deux premières, respectivement chinoise et émiratie, sont arrivées la semaine dernière après sept mois de trajet et se sont placées en orbite autour de la planète rouge. Last but not least, c’était désormais au tour de la mission américaine «Mars 2020» d’entrer en scène pour le grand show jeudi soir: une rentrée atmosphérique de tous les dangers à plus de 23.000 km/h qui s’est terminé en apothéose avec l’atterrissage du rover Perseverance. Un engin à 2,5 milliards de dollars dont l’objectif principal sera de collecter des échantillons qui devront ensuite être ramenés sur Terre.
Les moyens d’analyse des laboratoires sont tellement puissants que l’étude de roches martiennes devrait permettre de mieux connaître l’histoire de Mars, et apporter enfin une réponse à cette lancinante question: y a-t-il eu un jour de la vie sur cette planète? «En analysant un caillou pris au hasard dans votre jardin, la géochimie moderne est capable de retracer toute l’histoire de notre planète», s’émerveille François Forget, planétologue et directeur de recherche au CNRS.
Un épais bouclier thermique
Se poser sur Mars n’était pas une chose aisée. La Nasa, qui a le sens de la communication et de la dramaturgie, avait surnommé cette séquence de descente «les sept minutes de terreur». Étant donné la distance qui nous sépare aujourd’hui de Mars (200 millions de kilomètres, soit 11 minutes et 20 secondes à la vitesse de la lumière), il était impossible de piloter quoi que ce soit. Tout s’est donc déroulé de manière automatique. La sonde était d’ailleurs livrée à elle-même depuis une semaine.
Après avoir largué son module de voyage dix minutes plus tôt, la sonde a pénétré dans la haute atmosphère jeudi peu avant 22 heures. Par sa vitesse, elle a comprimé l’air devant elle au point de le faire chauffer à plus de 1300 °C. Un épais bouclier thermique l’a protégé alors de ces températures infernales.
Quatre minutes plus tard, la sonde devait filer encore à 1500 km/h environ, soit la vitesse d’une balle de pistolet. À 11 km d’altitude environ, il a fallu donner un coup de frein supplémentaire. Un gigantesque parachute supersonique de plus de 20 mètres de diamètre (soit l’équivalent de la surface de deux terrains de tennis) s’est alors déployé. Quelques secondes plus tard, le bouclier thermique était libéré. Les caméras et les radars du rover ont pu ainsi commencer à analyser le sol encore situé 7 à 8 km plus bas mais qui se rapprochait dangereusement pour trouver de façon autonome le terrain le plus propice à l’atterrissage: une zone relativement plane, peu pentue et sans cailloux.
Ce système très sophistiqué est tout nouveau. Il était indispensable pour pouvoir envisager de se poser dans une zone aussi complexe: un ancien delta fluvial situé au bord du cratère Jezero, l’un des plus anciens de Mars. Une zone ravinée, pleine de falaises et d’à-pics où l’eau ruisselait vers un lac il y a plus de 3,7 milliards d’années.
Je suis forcément super anxieux. Des projets comme cela, il n’y en a pas beaucoup. C’est presque des projets d’une vie. Même si nous jouons avec les meilleurs, il y a toujours un risque
Sylvestre Maurice, astrophysicien à l’Irap
Le dos de la capsule de rentrée et le parachute devaient se séparer du rover qui n’est plus accompagné que de son «jet pack», une structure équipée de rétrofusées qui a finalisé la procédure de freinage et assurer un déplacement latéral maximal de 600 m pour rejoindre le lieu précis d’atterrissage qui aura été identifié. L’ensemble devait se déplacer encore à plus de 300 km/h à un peu plus de 2000 mètres du sol… L’objectif était de se stabiliser à 20 mètres de hauteur environ au niveau du point de contact pour la dernière opération: faire descendre le rover suspendu à quatre câbles de nylon qui se sont lentement déroulés afin de le poser délicatement au sol.
Le «jet pack» devait alors s’éjecter avec les filins pour s’écraser en toute sécurité à bonne distance du précieux rover. Une première photo a été prise et envoyée par Perseverance pour confirmer la réussite de l’opération.
Pour Sylvestre Maurice, astrophysicien à l’Irap et père de l’instrument SuperCam embarqué par Perseverance, l’attente a été compliquée. «Je suis forcément super anxieux. Des projets comme cela, il n’y en a pas beaucoup. C’est presque des projets d’une vie. Même si nous jouons avec les meilleurs (les ingénieurs du Jet Propulsion Laboratory de la Nasa qui ont réussi à poser tous les rovers martiens, dont le dernier, Curiosity, en 2012, avec la même technique, NDLR), il y a toujours un risque.»
Ingenuity, un petit objet volant inédit
C’est un peu la surprise du chef. En 2018, la Nasa a confirmé que le rover Perseverance embarquerait avec lui un petit engin volant expérimental finalement baptisé Ingenuity (notre photo). Il s’agit d’une sorte d’hybride entre le drone et l’hélicoptère. Situé sous le rover, il devrait être déposé au sol quelques mois après l’atterrissage. Alimenté par ses propres panneaux solaires, il ne pèse que 2 kg, mais nécessite de grandes pales de 1,20 m d’envergure pour réussir à générer une portance dans l’atmosphère très ténue de Mars, 100 fois moins dense que sur Terre.
Son corps cubique ne mesure lui que 10 cm de côté environ et abrite une électronique complexe pour permettre des vols autonomes programmés. Les ingénieurs de la mission ne comptent pas sur lui à proprement parler, mais ils l’ont tout de même équipé d’une caméra qui pourrait permettre de réaliser une cartographie aux alentours du rover afin de faciliter la navigation.
SuperCam, une tête «made in France»
Les ingénieurs du JPL de la Nasa l’appellent désormais avec un mélange d’humour et de respect «the laser guy» («le gars des lasers»). Sylvestre Maurice, astrophysicien à l’Irap (CNRS-Cnes-Université de Toulouse) avait déjà conçu l’instrument perché sur le mât du rover Curiosity (en activité depuis 2012) qui servait à «tirer» sur les roches martiennes pour déterminer leur composition chimique. Il a récidivé cette fois-ci avec SuperCam (notre photo), une version largement améliorée du dispositif qui intègre désormais cinq techniques différentes d’analyse à distance afin de donner une description bien plus détaillée des cibles. «On a réalisé 100.000 tirs par an avec Curiosity, l’objectif est un peu le même pour Perseverance, cela représente 300 tirs par jour environ», explique le chercheur français. Cerise sur le gâteau, l’instrument fait en quelque sorte office de «tête» et donne, d’une certaine manière, un visage très reconnaissable aux deux rovers.