LE MYTHE DE LA GAUCHE

L’ALTERNATIVE de la droite et de la gauche a-t-elle encore un sens ? Celui qui pose cette question devient immédiatement suspect. Alain n’a-t- il pas écrit : « Lorsqu’on me demande si la coupure entre partis de droite et de gauche, entre hommes de droite et hommes de gauche a encore un sens, la première idée qui me vient est que l’homme qui me pose cette question n’est certainement pas un homme de la gauche. » Cet interdit ne nous arrêtera pas, car il trahirait plutôt l’attachement à un préjugé qu’une conviction fondée en raison.
La gauche, selon Littré, est « le parti de l’opposition dans les chambres françaises, le parti siégeant à la gauche du Président ». Mais le mot ne rend pas le même son que celui d’opposition. Les partis alternent au pouvoir : le parti de gauche reste de gauche, même s’il forme le gouvernement.
En insistant sur la portée des deux termes, droite et gauche, on ne se borne pas à constater que, dans la mécanique des forces politiques, deux blocs tendent à se former, séparés par un centre, sans cesse entamé. On suggère l’existence soit de deux types d’hommes, aux attitudes fondamentalement contraires, soit de deux sortes de conceptions, dont le dialogue se poursuivrait, semblable à lui-même, à travers les changements de vocabulaires et d’institutions, soit, enfin, de deux camps, dont la lutte remplirait la chronique des siècles. Ces deux sortes d’hommes, de philosophies, de partis existent-elles ailleurs que dans l’imagination des historiens, abusés par l’expérience de l’affaire Dreyfus et par une interprétation contestable de la sociologie électorale ?
Entre les différents groupes qui se veulent de gauche, il n’y a jamais eu d’unité en profondeur. D’une génération à une autre, les mots d’ordre et les programmes changent. La gauche qui se battait hier pour un régime
constitutionnel a-t-elle encore quelque chose de commun avec celle qui s’affirme aujourd’hui dans les régimes de démocratie populaire ?

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